"Arlington Park" de Rachel Cusk ***
"Et c'est comme ça qu'elle l'avait attrapée, cette vie qui n'était pas la sienne."
Juliet rencontre un jour Christine avec qui elle était à l'école. Cette dernière ignore que Juliet habite Arlington Park, un quartier résidentiel de la banlieue de Londres. Quatre ans déjà pourtant que Juliet, l'excellente élève promise à un brillant avenir est marié et rentre à pied en portant ses courses car son mari prend la voiture pour se rendre au travail. Lors de leur dîner chez les Matthew, ce dernier lui a d'ailleurs reproché d'avoir été odieuse pour avoir dit à Matthew qu'il était illégal de ne pas embaucher de femme pour cause de maternité comme il le fait. En fait, Juliet se rend compte qu'elle ne s'épanouit pas dans cette vie qui ne lui ressemble pas. Elle a en effet suivi son mari et elle travaille comme professeur dans un modeste collège, elle s'épanouit juste au club littéraire qu'elle anime une fois par semaine, le vendredi. Ses deux enfants ne lui apportent quère de satisfactions, son fils la traite comme une bonne et les femmes à la sortie de l'école ne lui adressent même pas la parole.
Amanda n'est guère plus épanouie. "Haut perchée sur le siège de sa Toyota argent", elle n'attend qu'une chose que son fils puisse aller à l'école afin qu'elle n'ait plus à s'en occuper. Elle se sent étrangère dans cette banlieue et ses cafés avec d'autres mamans ou ses escapades au centre commercial ne sont qu'une faible bouffée d'oxygène dans cette vie qu'elle n'aime pas.
Solly, quant à elle, loue des chambres à des étudiantes ce qui la change un peu et Maisie, insatisfaite de sa vie, pique des crises avec ses filles et attend impatiemment le retour du travail de son mari.
Nous ne sommes pas à Desperated House Wife mais à Arlington Park. Derrière ces beaux portraits de femme qui ont raté leurs vies, toutes dévouées à une famille où elles ne s'épanouissent pas, ayant laissé leurs objectifs et mis leurs ambitions de côté, Rachel Cusk nous livre les états d'âmes secrets de femmes au bord du désespoir. Et le portrait des hommes ou des enfants qui les entourent, plus égoïstes que compréhensifs, n'est guère flatteur.
Il ne fait pas bon vivre à Arlington Park mais sans doute est il bon parfois que la littérature s'intéresse à ces femmes dont les vies de dévouement ne sont pas toujours épanouissantes.
Un livre agréable à lire, sur un thème rarement traité, avec une ambiance particulière, amère, triste et presque désespérée. Et pourtant on tourne les pages en espérant que ce livre servira peut-être à se mettre dans la peau de certaines femmes qu'on qualifie de nanties et qui ne le sont pas toujours. Car derrière les apparences se cache beaucoup de ressentiment et le sentiment d'être passée à côté de sa vie.