"L'année de la pensée magique" de Joan Didion ****

Publié le par clochette

"Je sais pourquoi nous essayons de garder les morts en vie : nous essayons de les garder en vie afin de les garder auprès de nous. Je sais aussi que, si nous voulons vivre nous mêmes, vient un moment où nous devons nous défaire de nos morts, les laisser partir."

Le 30 décembre 2003, vers neuf heures du soir, John, le mari de la narratrice, un écrivain américain réputé, est victime d'une attaque subite et foudroyante, alors qu'ils s'apprêtaient à  diner chez eux, à New-York, revenant de l'hopital où leur fille unique est  dans le coma. Ce  livre revient sur les événements qui ont suivi cet instant dramatique en détruisant  toutes les convictions que la narratrice, romancière elle même, avait pu avoir "sur la mort, sur la maladie,  sur la probabilité et le hasard, sur les bonheurs et les revers du sort, sur le couple, les enfants, la mémoire, sur la douleur du deuil, sur la façon dont les gens se font et ne se font pas à l'idée que la vie a une fin, sur la précarité de la santé mentale, sur la vie même".

La narratrice commence à écrire ce récit 9 mois après cette dramatique soirée, qui a commencé comme elle se plait à le rappeler comme une banale journée. Elle était mariée depuis 40 ans à cet homme, elle avait vécu avec lui presque 24 heures sur 24, dans la mesure où ils travaillaient ensemble. Il était son guide, son compagnon, son ami, son conseiller artistique, celui avec qui elle partageait tout. Elle revient sur l'année qui a suivi son décès, la manière dont elle l'a  appréhendée, jusque dans les détails du quotidien -trier les vêtements du défunt- ,  en analysant et en décrivant  ce qui se passe à l'intérieur d'une personne confrontée au deuil, et notamment en quoi il modifie les relations avec autrui.

De façon implacable, elle revient sur l'instant qui a fait basculer sa vie, sur les souvenirs de ces années de vie commune qui affluent, sur son quotidien sans lui auprès de sa fille qui est hospitalisée dans un état très critique,  sur ses relations avec le monde médical,  sur sa façon d'appréhender le présent seule. Elle cherche à comprendre ce qu'elle vit, explique en quoi ce deuil est différent de la mort de ses parents dans la mesure où il bouleverse son quotidien. Elle cite les lectures sur lesquelles elle s'est appuyée et qui l'ont sans doute aidée : "Deuil et Mélancolie" de Freud ou "Essais sur l'histoire de la mort en Occident" de Philippe Ariès. Elle revient sur son manque d'empathie et de compréhension par rapport à certaines veuves   : "Je me souviens du mépris que m'avait inspiré le livre écrit par la veuve de Dylan Thomas, Caitlin, après la mort de son mari, Leftover Life to Kill ("Un reste de vie à tuer"). Je me souviens de mon dédain, de ma sévérité envers sa façon de "s'apitoyer", de "geindre" de "s"apesantir". Lefthover to kill est paru en 1957. J'avais ving-deux ans. Le temps est l'école où nous apprenons".

Des passages particulièrement touchants émaillent ce témoignage. Elle montre en quoi le chagrin du deuil est "un état qu'aucun de nous ne connait avant de l'avoir atteint" et que ce qu'on peut en imaginer est loin de ce qu'il est vraiment.  Un livre intelligent, qui analyse et dissèque le deuil, sans complaisance mais aussi sans pathos. Un livre d'une grande force et qui montre notre impuissance. Un livre qui philosophe sur la vie et sur la mort. Un livre qui témoigne de la solitude d'une femme qui se retrouve seule après avoir passé toute sa vie auprès d'un homme qui la protégeait avec les souvenirs qui rôdent et les discussions qui restent sans réponse faute  d'interlocuteur.

Un livre très fort, que je vous recommande.

D'autres bloggeuses ont aimé : Les routes de l'imaginaire, Les lectures de Sophie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article