"Dans la ville des veuves intrépides" de James Canon ****
"Le jour où les hommes disparurent commença comme un dimanche ordinaire à Mariquita".
Un village de veuves, voilà ce qu'est Mariquita depuis que les guérilleros ont emporté tous les hommes un dimanche de novembre 1992, laissant les femmes dévastées, abasourdies et folles de chagrin. Le padre Rafaël est le seul que les guérilleros n'ont pas enrolé. Sinon tous les hommes sans exception de plus de 15 ans sont contraints de partir en une journée.
Rosalba, la femme du brigadier, qui a le "derrière le plus imposant de toutes les femmes de Mariquita" promue voire auto promue maire du village, fait rapidement la liste des priorités : ramener l'eau courante, rétablir l'électricité, remettre le téléphone en service et rouvrir l'école malgré le départ de l'instituteur : "Je vais le transformer en un village bien meilleur que ce que les hommes ont jamais pu créer. Je suis un leader né".
Mais très vite se pose le problème de la reproduction : en effet, comment assurer un avenir à l'espèce sans homme. Alors le padre Rafaël, malgré sa condition de prêtre, se dévoue...
Loufoque, burlesque, ce livre est en premier lieu un conte qui met en scène des personnages féminins particulièrement savoureux. Ces femmes font penser aux figures féminines peintes par Botero, dont l'une est d'ailleurs représentée sur la première de couverture du roman, à l'image de la veuve Morales et de ses trois filles : Orquidea, l'aînée, , toujours vierge en raison d'un physique plus qu'ingrat ou Gardenia, qui transporte avec elle une odeur particulièrement désagréable qui fait fuir tout le monde. Mais ce livre est aussi une chronique qui rend compte de la guerre civile et de la violence de la Colombie et de ses guerilleros. Les chapitres racontant la vie à Mariquita sont d'ailleurs entrecoupés de billets relatant la dure et cruelle vie des guerriers.
Ce roman est aussi une violente critique de la religion et des croyances avec un padre Rafaël dont le portrait est particulièrement savoureux, et qui m'a personnellement fait mourir de rire. La religion est tournée en dérision, et la référence de ce point de vue à l'arche de Noé est particulièrement drôle. Proche de l'univers rabelaisien, ce roman est à la fois réaliste et magique, et la fin du livre est particulièrement bien réussie.
C'est un premier roman. Et James Canon est un écrivain plus que prometteur. Beaucoup le comparent déjà aux grands écrivains latino américains. Il faut savoir que cet homme encore jeune et très sympathique vient d'un petit village de Colombie, mais il vit maintenant à New York. Il confie volontiers que sa mère, femme à qui il voue une grande admiration, lui a raconté beaucoup d'histoires lorsqu'il était petit. Ce roman est inspiré de sa grand-mère, femme à la très forte personnalité, à qui il aurait aimé que sa mère plus discrète ressemble. Le roman leur est dédié ainsi qu'à toutes les femmes de la terre.
Un grand merci à la librairie Sterling, à qui je dois ce livre. En effet, je fus fin juin l'heureuse internaute gagnante du bon d'achat de 30€ lors du géniallissime prix du biblioblog, ce qui m'a permis de recevoir ce livre gratuitement. Il ne me reste plus qu'à aller rendre visite à cette librairie, paraît-il super, lors de ma prochaine escapade parisienne.
Dans la ville des veuves intrépides de James Canon.- Belfond, Mars 2008, 379 p., 21€
L'interview -passionnante- de l'auteur.