"Les disparus" de Mendelsohn ****
Daniel, jeune garçon juif âgé de 12 ans, ressemble étrangement au frère disparu de son grand-père. Ce grand oncle a été victime de l'holocauste, tué pendant la seconde guerre mondiale ainsi que sa femme et ses quatre filles. A cause de cette ressemblance, quand il rentre dans une pièce, certaines des personnes de sa famille sortent un mouchoir ou pleurent, et semblent saisis par son physique mais personne ne lui explique pourquoi. "Ma mère parlait avec mon père en yiddish pour préserver ses secrets". Quant à son grand-père, dont il est très proche et qui lui raconte plein d'anecdotes et d'histoires, il reste désespérement muet sur cette partie de sa famille et ne parle absolument jamais de ce frère disparu.
Oncle Schmiel, comme l'appelle affectueusement le narrateur qui ne l'a pourtant jamais connu, est resté en Pologne pendant la guerre alors que le reste de sa famille a pu partir aux États-Unis. Il reste à Daniel Mendelsohn, auteur, narrateur et héros de ce récit, des lettres poignantes et désespérées : "Fais ce que tu peux pour me sortir de ce Gehenim", gehenim signifiant enfer en hébreu et des photos avec dessous la formule allemande "Zur Erinnerung", en souvenir de. A l'aide de ses documents, Daniel Mendelsohn, considéré comme l'historien de la famille, va partir à la recherche de ses origines, et tenter de reconstituer l'histoire de son grand oncle et de ses cousines. Cette quête le mènera à travers plusieurs pays ou villes, Bolechow tout d'abord, la ville dans laquelle a vécu cet oncle avant sa mort et où le sort des Juifs est tombé dans les mains des Allemands en août 1941.
Cette quête est racontée de façon très originale car il fait sans cesse référence au récit biblique, avec notamment le fameux épisode de Caïen et Abel mettant ainsi en lumière la culpabilité de son grand père de n'avoir pas pu aider son frère et de l'avoir ainsi involontairement "tué". Mais la notion de frère va jusqu'aux voisins, ces pairs qui finissent par trahir et dénoncer. Une référence au déluge aussi avec Dieu qui décide de dissoudre l'humanité car il regrette la création de l'homme. Certains témoignages sont en effet insoutenables notamment celui des wagons à bestiaux dans lesquels étaient transportés les juifs et on peut se demander comment les hommes en arrivent à de tels agissements.
Ce récit est une quête autobiographique Il m'a fait penser à Origines de Amin Maalouf, autre excellent roman, où l'écrivain part là aussi à la recherche de son histoire familiale. Ce qui m'a frappé c'est que l'un comme l'autre sont confrontés à la nécessité de se dépêcher dans la mesure où les personnes qui peuvent témoigner ne seront plus vivantes très longtemps. Récit aussi sur la mémoire défaillante avec des témoignages parfois contradictoires, récit enfin sur une des plus grandes tragédies du 20ème siècle : l'holocause à travers son histoire familiale, qui lui fait revivre la vie de cette famille disparue et d'une certaine façon leur rendre hommage et les rendre "vivants" car l'intéressent aussi bien la façon dont ils ont "disparu" que la manière dont ils ont vécu ces derniers moments, y compris par le biais d'histoires d'amour pour certaines des filles de Schmiel.
Un grand livre dont on a beaucoup parlé et dont on reparlera sans doute.
Prix Médicis étranger 2007